La « canularitude » rotarienne

Publié par Hamelin de Guettelet le mercredi 9 juin 2010

Ce lundi, Mikeread nous informait sur le Bistro d'une belle histoire mise au jour par le quotidien Sud-Ouest. Ségolène Royal, pour la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions qui avait lieu le 10 mai 2010, publiait la veille sur sa page Facebook un hommage à un personnage de l'histoire rochelaise Léon-Robert de l'Astran sur la base d'un article de Wikipédia.

Page Facebook de Ségolène Royal
Désirs d'Avenir - 10 mai 2010
La fiche du sympathique humaniste lui avait été faite par Sophie Bouchet-Petersen, la cofondatrice de l'association Désirs d'Avenir. Elle tenait ses informations d'un article de Wikipédia apparemment créé par Manchot en janvier 2007. Il devait tenir ses informations du site http://www.rotary-17aunis.fr sur lequel un membre du Rotary club, portant le prénom ou le pseudo de Pierre, avait écrit, au milieu d'autres célébrités véritablement historiques de La Rochelle, la bio de ce Léon-Robert de l'Astran pour contrebalancer la bio d'un autre négrier rochelais Samuel de Missy, représentant à l'Assemblée Constituante Nationale, commerçant esclavagiste, mais aussi membre de « la Société des amis des noirs » d'où il démissionne pour être maire de La Rochelle. Les motivations de Pierre ne sont pas très claires, il a d'abord déclaré avoir créé un canular avant de se rétracter devant le buzz et de faire état d'un livre La Rochelle au XVIIIe siècle mais sans pouvoir en donner ni l'auteur, ni l'éditeur. Il a même présenté sur le site du Rotary la reproduction de deux peintures de de l'Astran.

Le pot aux roses a été découvert quand Thierry Bobinet, un stagiaire en master II de sciences humaines, travaillant sur la traite et les moyens de la remémorer, fait une recherche sur Google en tapant « abolitionniste la Rochelle », il se retrouve alors sur l'article de Wikipédia. Son directeur de recherche l'engage alors à chercher d'autres informations sur ce de l'Astran, pour recouper les informations de Wikipédia, juste démarche s'il en est. Après avoir écumé Internet, il a reconstitué la vie de de l'Astran mais il ne possède toujours aucune source primaire sur son botaniste humaniste. Par contre il a situé les deux tableau, l'un serait à la bibliothèque rochelaise et l’autre dans une collection privée appartenant à une certaine Madame de Guinée. Thierry Bobinet se rapproche alors de Jean-Louis Mahé, historien et bibliothécaire de la médiathèque. Ce dernier fait des recherches dans tous les fonds communaux et départementaux sans jamais trouver la moindre trace de ce de L'Astran ni de son portrait. C'est en fait le nom de madame de Guinée qui va mettre la puce à l'oreille des chercheur et la lecture attentive des informations recueillies va confirmer le canular.

Richard ou René-Charles de l'Astran-Rochambault-d'Hoyen, le père, fait fortune dans le commerce triangulaire avec des plantations de cacao et la récolte des feuilles de kola en Guinée (la Guinée comme madame de Guinée, si le cacao est bien de Guinée, le kola, hormis une ville en Guinée, Kola, est plutôt d'Amérique du Sud). Il possède une flottille (flottille est plutôt un terme militaire, les armateurs possédaient une flotte) de navires négriers. L’enfant a un caractère résolu. Contrairement à son père, il est versé dans la botanique. Après avoir ourdi contre lui de nombreux caprices d’élève buissonnier (normal pour un futur botaniste), il embarque sur le Modo Quasi (et non le Quasi Modo). Embarcation prénommée selon l’auteur d’après un ex-voto conservé en la chapelle Notre-Dame (qui n'était chapelle qu'à l'époque romane), près de la Porte de Cougnes. Sur le bateau, il mène un travail de petit mousse (toujours logique pour un botaniste) de collecte, allant quérir les feuilles et fruits dans les forêts d’Amérique du Sud. La botaniste officielle était Marie-Dominique de la Fouchardière qui dessine toutes les plantes ainsi récupérées avant de les enfermer dans trois coffres malheureusement perdus. Marie-Dominique de la Fouchardière épousera au retour un dénommé Pierre-Samuel-Toussaint Fromentin, père du peintre rochelais Eugène-Samuel-Auguste Fromentin (la mère de Fromentin est en fait Françoise-Jenny Billotte et non Marie-Dominique de la Fouchardière).

Sur le retour du premier voyage triangulaire, une mutinerie éclatera à bord du Modo Quasi, réfugiés avec Mademoiselle de la Fouchardière dans le carré du capitaine Mariani, le jeune de l’Astran, âgé de 13 ans (donc en 1780), payera de sa personne. Finalement, l’enfant rentrera en 1783 par le port de Nantes, d’où il ralliera La Rochelle après que son armateur de père eut payé tous les soldes d'arriérés. La fève de cacao rapportant plus qu'il ne faut, Monsieur de l’Astran père achète l'hôtel particulier de de Bernon, rue Amelot, dont la façade est ornée de fèves de cacao (information authentique).

De l’Astran fils réapparaît ensuite (doué du don d'ubiquité) sur l’Hermione avec la Fayette (donc aussi en 1780). Dès la mort de son père, de l’Astran peut agir conformément à sa conscience, et libérer tous les esclaves de la flottille héritée qu'il refuse d'affecter à la traite.

Jean-Louis Mahé tira la ficelle pour remonter aux sources. En partant de la majorité des sites, il remonte jusqu'à la page Facebook, comme quoi la page Facebook d'une politique à plus de portée qu'une page de Wikipédia, ensuite de Ségolène Royal à Sophie Bouchet-Petersen, de la cofondatrice de Désir d'Avenir à Wikipédia, de l'encyclopédie au Rotary club, du site rotarien au clubiste Pierre qui est donc l'inventeur de ce bio-canular !

Dés le signalement sur le Bistro de l'article du quotidien Sud-Ouest par Mikeread le 7 juin à 6:48, c'est DonCamillo qui supprime l'article Léon-Robert de l'Astran ‎à 9:10 pour canular. La discussion interne à Wikipédia, sur le Bistro, quant à savoir s'il fallait faire disparaître l'article, le garder comme canular, en faire un article sur un personnage fictif était reproduite quasiment à l'identique sur de multiples sites ou forums, à l'extérieur de Wikipédia, où certains remarquaient la rapidité de la réaction, d'autres regrettaient de voir disparaître un moment de l'histoire d'Internet ou de la communication politique. Puisque l'article n'a pas été sauvegardé dans la catégorie canular à coté de l'article Jean-Baptiste Botul cité par Bernard-Henri Levy, j'affiche ici une copie d'écran de l'article.


Ainsi va Wikipédia.