Pierre Assouline est une des bêtes noires de Wikipédia, enfin c'est ce qu'il est politiquement correcte de dire sur le Bistro, rendez-vous compte, il ose critiquer Wikipédia. De plus ses étudiants n'ont eu aucun scrupule à inclure une fausse information - Pierre Assouline est champion de France de jeu de paume - dans l'article de Wikipédia sur leur professeur pour vérifier par l'expérience le fonctionnement de l'encyclopédie ; crime de lèse majesté. Il faut bien reconnaître que cela n'est qu'un prêté pour un rendu puisque Wikipédia est aussi la bête noire d'Assouline.
Qu'en est-il exactement ? Pour le savoir, il est plus certain de se faire sa propre opinion sur le sujet. C'est pourquoi je profite de l'été pour me procurer et lire l'essai rédigé par des étudiants de Sciences-Po La révolution Wikipédia les encyclopédies vont-elles mourir ? de Pierre Gourdain, Florence O'Kelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas et Tassilo von Drost zu Hülshoff, publié aux éditions Mille et Une Nuits en novembre 2007 avec une préface de Pierre Assouline.
Juste avant de conclure, je noterais que ces étudiants journalistes ont la plume moins acide que leur professeur, et le dernier chapitre 7 nuance beaucoup les précédents « Faire un usage intelligent de Wikipédia impliquerait donc de savoir distinguer deux types de temporalité : d’un côté, celui de la recherche d’informations factuelles immédiatement disponibles et de la vérification par croisement des sources ; de l’autre, celui de l’approfondissement et de la constitution d’une réflexion personnelle, que l’éventuelle exhaustivité des encyclopédies ne peut en aucun cas pallier. »
En conclusion, je pourrais faire mienne cette autre citation tirée de cet essai « Tout usage intelligent de Wikipédia passe donc nécessairement par l’intégration de cet outil dans un processus pédagogique [...] Wikipédia ne serait pas la panacée pédagogique en termes d'offre et de contenus que certains y voient, mais plutôt un moyen d'aiguiser son esprit critique et d'apprendre à croiser ses sources. » Ces étudiants ont finalement appris quelque chose en faisant leurs recherches, mais j'ai comme l'impression que c'est plus le fait de l'interview d'Esprit Fugace, contributrice de Wikipédia, que d'Assouline, leur professeur.
J'ai rejoint, en une semaine de lecture et en deux heures d'écriture, les sectateurs de Pierre Assouline que je moquais en début de ce message.
Ainsi va bien Wikipédia, errare humanum est.
Qu'en est-il exactement ? Pour le savoir, il est plus certain de se faire sa propre opinion sur le sujet. C'est pourquoi je profite de l'été pour me procurer et lire l'essai rédigé par des étudiants de Sciences-Po La révolution Wikipédia les encyclopédies vont-elles mourir ? de Pierre Gourdain, Florence O'Kelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas et Tassilo von Drost zu Hülshoff, publié aux éditions Mille et Une Nuits en novembre 2007 avec une préface de Pierre Assouline.
- Premier constat : 140 pages, petit format, bonnes marges, grand interlignage, gros caractères, ce n'est donc déjà pas un pavé (dans la mare), l'insignifiance du matériel bibliographique et de référencement, encore moins une somme ... tout juste un compendium.
- Deuxième constat : la lecture de la préface, Assouline nous met d'entrée dans l'ambiance « Sur Wikipédia, n'importe qui peut écrire n'importe quoi, et manifestement on ne s'en prive pas ». Depuis L’affaire Wikipédia publié sur son blog le 9 janvier 2007, nous connaissons déjà ce qu'il pensait du travail collaboratif Tous romanciers ! (3 février 2007) ou des encyclopédies Diderot ne méritait pas ça (17 mars 2007).
- Troisième constat : les chapitres 1, 3 et 4 décrivant l'encyclopédie sont suffisamment réalistes pour reconnaître que le travail d'information est bien fait, la description de l'encyclopédie raisonnablement précise et les critiques non dénuées de vérité. Je suis donc plutôt d'accord avec l'acte d'accusation, j'aurais pu faire à Wikipédia à peu près les mêmes critiques, mais je n'aurais pas fait qu'une enquête à charge, je l'aurais aussi faite à décharge.
- Quatrième constat : toute critique exagérée est insignifiante. Revenir sur le sujet de la comparaison faite par la revue Nature entre l'encyclopédie papier Britannica et l'encyclopédie en ligne Wikipédia anglophone n'était pas une bonne idée (chapitre 2), puisque aujourd'hui tout le monde à son opinion. Les résultats sont indiscutables et la défense de Britannica n'a pas convaincu. La seule vraie critique que l'on puisse faire à la comparaison de Nature porte sur l'échantillonnage, il est facile de voir que le choix des articles ne constitue pas un échantillon représentatif et que les résultats de l'enquête ne peuvent donc être extrapolés à l'ensemble des encyclopédies Wikipédia comme de Britannica.
- Cinquième constat : évidemment non Diderot n'est pas le premier des wikipédiens (chapitre 6), mais il faut surtout éviter de regarder les encyclopédistes avec les yeux de Chimène et L’Encyclopédie comme l'alpha et l'omega du savoir. Il suffit de se rappeler les articles Économie politique de Rousseau et Œconomie de Diderot pour savoir ce qu'est du POV-pushing (imposer son point de vue), l'article Idole de Voltaire pour avoir un exemple de TI (travail inédit), l'article Genève de D'Alembert pour démontrer la nécessité de vérifier ses sources ou enfin l'affaire des planches de L’Encyclopédie qui dans un premier temps sont accusées, avec quelques raisons, d'être un plagia de celles de Réaumur. Cela mis à part, la notion de l'encyclopédie comme vision du monde est effectivement à retenir. De tout temps, depuis Aristote jusqu'aux encyclopédistes du XVIIIe siècle, l’encyclopédisme était le vision du monde à ce moment donné, passant de la philosophie à la classification des savoirs, « tous les efforts des encyclopédistes depuis l’antiquité visent à classer, à hiérarchiser le savoir » explique Alain Rey. Alors que vaut la tentative d’exhaustivité de Wikipédia sans méthode ni hiérarchisation, sans vue d’ensemble ni principe classificateur ? À cette question là, personne n'a le recul nécessaire pour juger du fait que Wikipédia est ou non en adéquation avec le monde qui l'a créé. S'il est en adéquation, que l'information soit hiérarchisée ou pas cela n'aura aucune importance.
- Sixième constat : comment répondre à la question posée en titre puisque la parole donnée (chapitres 5 et 6) aux encyclopédies papier traditionnelles n'exprime qu'une seule vision, la leur, seul modèle possible d'encyclopédie ? C'est quand même oublier un peu vite que l'équivalent papier de Wikipédia, le Quid, a annoncé que son édition 2007 serait la dernière, que Larousse n’envisage plus de remettre en chantier une édition actualisée de son Grand dictionnaire encyclopédique en 17 volumes. Alors comment comprendre que ces éditions papiers, qui auraient toutes les qualités requises, informations scientifiquement rédigées et vérifiées, savoirs parfaitement structurés, organisés, classifiés et hiérarchisés, comment, donc, comprendre que ces éditions papiers n'ont pas le succès escompté. Ce ne peut être une encyclopédie aussi mal rédigée, comportant autant d'erreurs, aux savoirs si mal hiérarchisés, ce ne peut, donc, pas être Wikipédia qui les concurrence autant que cela.
- Septième constat : N'en jetez plus la cour est pleine ...
- Les pratiques de l'époque Aujourd'hui la bataille opposant Gutenberg à McLuhan est dépassée au profit du théoricien du global village - village planétaire. Il n'est évidemment pas question de bruler les bibliothèques mais il n'est non plus question de nier la place qu'Internet a pris aujourd'hui. Que l'on soit d'accord ou pas avec la numérisation des bibliothèques, cela n'a plus d'intérêt, cela se fait. Que l'on soit d'accord ou pas avec le développement d'une/des encyclopédies en ligne, cela n'a plus d’intérêt, c'est. Que ce qu'il convient d'appeler, avec raison ou pas, le progrès est un mouvement irrépressible de toute l'histoire de l'humanité et Pierre Assouline ne pourra jamais l’empêcher avec les billets de son blog. S'il veut encore être crédible demain face à ses étudiants, il va bien falloir qu'il utilise les mêmes médias qu'eux, que cela lui plaise ou non. Nous ne retournerons jamais aux palimpsestes des moines-copistes. Il faut vivre avec son temps pour être crédible vis-à-vis de ses étudiants. Je préfère l'attitude de Jean-no, autre professeur mais d'université cette fois et aussi wikipédien, qui fait travailler ses étudiants sur Wikipédia pour leur démontrer par la pratique l'importance d'une information sourcée. Ce ne sera jamais ses étudiants qui vandaliseraient deux articles pour démontrer qu'il est possible de le faire, ils ont appris en rédigeant leurs propres articles sur l'art qu'il est plus important d'être respectueux des écrits d'autrui que de vandaliser bêtement. Dommage qu'Assouline n'est pas appris à ses étudiants à corriger des erreurs pour rendre Wikipédia tel qu'il rêve que soit une encyclopédie plutôt qu'à les pousser à vandaliser cette encyclopédie pour avoir raison et satisfaire par personnes interposés son égo.
- La responsabilité de Pierre Assouline.
Écoutons Assouline, « Mais comment faisiez-vous avant ? » Cela fait un an que je rumine cette question posée par un étudiant du master de journalisme de Sciences-Po à l'issue d'un débat de deux heures qui m'avait opposé à l'ensemble de ses camarades. Ayant constaté que les étudiants de première année, forts de leur mention « Bien » ou « Très bien » au baccalauréat, se servaient avec beaucoup de naturel de Wikipédia comme d'une source, j'avais invité ceux qui achevaient leurs études à davantage de circonspection, de sens critique et de rigueur intellectuelle. En vain, je le reconnais. Nous n'étions pas parvenus à nous persuader. L'échange, vif mais édifiant, aurait pu durer plus longtemps encore, n'eût été cette réflexion qui me cloua à ma chaise : « Mais comment faisiez-vous avant ? » Avant Wikipédia, bien entendu. »
Il est une chose qui me gène particulièrement, comme enseignant moi-même, dans toute cette affaire. Si nous connaissions les positions d'Assouline vis-à-vis de Wikipédia, je pense que nous ignorions jusqu'alors son désarroi d'enseignant. Un double désarroi : - le premier fut aussi le miens, il n'est jamais agréable d'observer que vos étudiants vous prennent pour un imbécile quand vous constatez qu'ils recopient bêtement une source en espérant que vous ne le remarquerez pas ; croient-ils ne nous ne connaissons pas les différentes sources de notre spécialité ou encore pensent-ils que nous ne remarquerons pas la différence de style ! ? ! ?
- le second est effectivement plus difficile à accepter, ses étudiants critiquent ses propres positions prises dans les trois messages de son blog signalés plus haut. L'explication qu'il provoque va en fait le déstabiliser quand ses étudiants lui demandent « mais comment faisiez vous avant ? » Il réalise, je dirais seulement ou enfin, que ses étudiants journalistes, de niveau bac+, ne savent pas faire une recherche documentaire, recouper des sources, avoir l'esprit critique ... En fait, qu'ils ne savent pas travailler correctement, et ça, c'est ni de leur faute, ni de celle de Wikipédia.
- la première faute, plutôt que de se remettre en cause, comme je l'ai fait en mon temps, et expliquer comment faire une bonne recherche documentaire, Assouline préfère accuser la source, « Wikipédia est le mal ». Mais à qui la faute, à Wikipédia qui met à disposition des informations, bonnes ou mauvaises, à Google qui positionne toujours au mieux l'encyclopédie dans ses résultats de requête, ou aux professeurs qui ne savent pas former correctement leurs étudiants à la recherche ? La réponse est évidente pour qui accepte les responsabilités.
- la seconde, est pour moi, beaucoup plus grave, l'instrumentalisation de cinq étudiants de dernière année de master. Comment peut-on faire faire un tel travail quand on est un professeur responsable ? Comment accepter de faire publier un tel essai qui n'a pour seul objectif que de se donner raison ? Où est l’honnêteté intellectuelle d'une recherche faite uniquement à charge et jamais à décharge ? Accepter ce travail, en faire la préface, n'est certainement pas la meilleure façon de former de futurs journalistes au sérieux de la recherche documentaire, à l'importance du croisement des sources et à l’impartialité déontologique.
- La responsabilité de Wikipédia Comme je l'ai dit, je suis, pour beaucoup, d'accord avec les critiques faites à l'encontre de Wikipédia ; pour beaucoup je les fais miennes. Mais je sais aussi instruire à décharge. S'il ne faut pas exonérer l'encyclopédie de ses défauts, de ses erreurs, il ne faut pas non plus y voir que ses défauts, que ses erreurs. Wikipédia n'est pas une expérience philosophique, c'est juste un projet humaniste du XXIe siècle. Il ne s'agit toujours pas de savoir si un millier de singes peut produire un texte, de vérifier que les connaissances limitées de la multitude peuvent s'additionner pour rejoindre les connaissances du savant, de démontrer que la somme des intérêts particuliers fini par rejoindre l’intérêt collectif. Il s'agit simplement de recueillir les connaissances dispersées pour les mettre à disposition de tous en un seul endroit. Il s'agit de satisfaire à cette utopie en respectant un minimum de règle à commencer par le respect des sources, de toutes les sources. Un double respect des sources : d'abord respecter la source de choix et ne pas lui substituer la source médiocre, il faut la confrontation des sources de valeur même opposées mais ne pas les affadir par d'autres sources médiocres ; ensuite respecter l'auteur de la source et ses droits en ne contrefaisant pas son texte, les wikipédiens ne sont pas les moines-copistes des scriptoriums. Ils ne peuvent recopier in extenso le bon texte s'ils l'on trouvé car ce bon texte appartient à son auteur et les droits que l'auteur à sur son œuvre interdit qu'il lui soit volé même pour la bonne cause d'une encyclopédie sans erreur et sans lacune. C'est en même temps la grandeur de Wikipédia et son tourment. En respectant les droits d'auteur, en ne recopiant pas, en synthétisant, en reformulant, en réécrivant, nous nous livrons à l'erreur de compréhension, à l'erreur d'interprétation et à l'erreur d'écriture. Si l'on peut nous reprocher le résultat, l'on ne peut pas nous reprocher le moyen. Et encore, peut-on nous reprocher le résultat de notre travail, erreurs comprises ? Nous reprocher nos erreurs, c'est ne pas accepter le work in progress (le travail en cours, le projet d'encyclopédie) qui est le principe de base. Nul part sur l'encyclopédie, et certainement pas sur l'article Affaire Dreyfus, à la date du post d'Assouline le 9 janvier 2007, il n'est indiqué que le contenu est irréprochable, sans erreur, c'est même souvent le contraire avec des bandeaux de mise en garde en tête d'article. Il eut été bon qu'il fasse un peu plus tard référence à l'article Affaire Dreyfus, à la date du 10 juillet 2007, par exemple, maintenant que les wikipédiens en ont terminé la rédaction et l'ont fait AdQ (article de qualité) ; il pourrait plus justement critiquer l'article s'il y avait encore matière à critique ou s'attribuer une part dans la réussite de cet AdQ s'il ne pouvait critiquer. Mais non, il ne veut pas rentrer dans le système, comme si le système pouvait le contaminer. Faut-il encore considérer que Wikipédia a un nombre de page limité, Wikipédia n'est pas un objet fini, c'est une encyclopédie en expansion. Reprocher qu'il y existe des articles de peu d’intérêt (pour qui ?) et qu'il manque des articles de base, c'est vouloir aujourd'hui, à l'instant, remplir l'ensemble du périmètre. C'est nier le temps et l'espace. Reprocher que tel article de peu d’intérêt (pour qui ?) est plus long que tel autre article de base, c'est vouloir aujourd'hui, encore et toujours, à l'instant, remplir l'ensemble du périmètre. C'est persister à nier le temps et l'espace. Combien de temps met l'Académie française à rédiger son dictionnaire ? Suffisamment longtemps pour, dans l'espace pourtant bien cerné, rendre obsolète telle entrée ou telle acception. Aujourd'hui, en dehors du support papier, il est toujours possible de s'adapter, de corriger l'erreur, de compléter l'information, de supprimer le désuet. C'est la force d'Internet, c'est la richesse de Wikipédia. Enfin, pour finir par où Assouline avait commencé, le wiki permet la collaboration et autorise donc le vandalisme, surtout le vandalisme sournois de la même façon que l'impression permet la coquille. Juste une différence de taille, le wiki permet la correction instantanément dès le signalement, comment fait-on avec l'imprimé ? Attendre la prochaine édition, si prochaine édition il y a ; Britannica n'a toujours pas corrigé les erreurs signalées par Nature, Wikipédia anglophone et d'autres ont corrigé, comme nous avons modifié l'article Affaire Dreyfus ; entre le 9 janvier et le 10 juillet, exactement six mois, juste six mois pour en faire un article AdQ. Merci monsieur Assouline de votre signalement, il vous faudra dorénavant trouver un autre sujet, un autre article, pour répandre votre fiel sur Wikipédia.
Juste avant de conclure, je noterais que ces étudiants journalistes ont la plume moins acide que leur professeur, et le dernier chapitre 7 nuance beaucoup les précédents « Faire un usage intelligent de Wikipédia impliquerait donc de savoir distinguer deux types de temporalité : d’un côté, celui de la recherche d’informations factuelles immédiatement disponibles et de la vérification par croisement des sources ; de l’autre, celui de l’approfondissement et de la constitution d’une réflexion personnelle, que l’éventuelle exhaustivité des encyclopédies ne peut en aucun cas pallier. »
En conclusion, je pourrais faire mienne cette autre citation tirée de cet essai « Tout usage intelligent de Wikipédia passe donc nécessairement par l’intégration de cet outil dans un processus pédagogique [...] Wikipédia ne serait pas la panacée pédagogique en termes d'offre et de contenus que certains y voient, mais plutôt un moyen d'aiguiser son esprit critique et d'apprendre à croiser ses sources. » Ces étudiants ont finalement appris quelque chose en faisant leurs recherches, mais j'ai comme l'impression que c'est plus le fait de l'interview d'Esprit Fugace, contributrice de Wikipédia, que d'Assouline, leur professeur.
J'ai rejoint, en une semaine de lecture et en deux heures d'écriture, les sectateurs de Pierre Assouline que je moquais en début de ce message.
Ainsi va bien Wikipédia, errare humanum est.