Cela fait déjà longtemps que je suis à la recherche d'un bon livre sur Wikipédia.
J'avais bien noté le livre de Florence Devouard, ancienne présidente de la WikiMedia Foundation, hébergeur des Wikipédias, membre du conseil d’administration de WikiMédia France, et Guillaume Paumier, docteur en physique, administrateur de WikiMédia France, Wikipédia : découvrir, utiliser, contribuer aux Presses universitaires de Grenoble, janvier 2009, mais ce livre est surtout un manuel de découverte et de contribution, comme Wikipédia : Comprendre et participer par Sébastien Blondeel chez Eyrolles (Paris) avril 2006 ou Wikipedia: the missing manual de John Broughton publié par O'Reilly (Californie) janvier 2008 ou encore How Wikipedia works: and how you can be a part of it de Phoebe Ayers, Charles Matthews et Ben Yates chez No Starch Press (San Francisco) septembre 2008 ou enfin Sams Teach Yourself Wikipedia in 10 Minutes de Michael Miller chez Pearson Education (New Jersey) octobre 2009. Ce sont cinq manuels de découverte plutôt que livres d'analyse qui ne correspondent pas vraiment à mon attente.
J'ai trouvé dans la catégorie livres d'analyse, Wikipédia, média de la connaissance démocratique ? surtitré Quand le citoyen lambda devient encyclopédiste de Marc Foglia chez FYP Editions (Limoges) avril 2008, The Wikipedia revolution: how a bunch of nobodies created the world's greatest encyclopedia de Andrew Lih chez Hyperion (New York) mars 2009, The world and Wikipedia: how we are editing reality surtitré Confessions of the Contributor de Andrew Dalby chez Siduri Books (Wells - GB) septembre 2009 et Good Faith Collaboration, The Culture of Wikipedia de Joseph M. Reagle Jr. au MIT Press (Cambridge - USA) septembre 2010.
Je me suis procuré le livre de Reagle et j’attends de recevoir celui de Foglia ; il est apparemment plus rapide de faire venir un livre des États-Unis par Amazon que de commander chez l'éditeur à Limoges. Ensuite je m’intéresserai aux confessions du contributeur Dalby.
J'ai trouvé dans la catégorie livres d'analyse, Wikipédia, média de la connaissance démocratique ? surtitré Quand le citoyen lambda devient encyclopédiste de Marc Foglia chez FYP Editions (Limoges) avril 2008, The Wikipedia revolution: how a bunch of nobodies created the world's greatest encyclopedia de Andrew Lih chez Hyperion (New York) mars 2009, The world and Wikipedia: how we are editing reality surtitré Confessions of the Contributor de Andrew Dalby chez Siduri Books (Wells - GB) septembre 2009 et Good Faith Collaboration, The Culture of Wikipedia de Joseph M. Reagle Jr. au MIT Press (Cambridge - USA) septembre 2010.
Je me suis procuré le livre de Reagle et j’attends de recevoir celui de Foglia ; il est apparemment plus rapide de faire venir un livre des États-Unis par Amazon que de commander chez l'éditeur à Limoges. Ensuite je m’intéresserai aux confessions du contributeur Dalby.
Le titre Good Faith Collaboration (Collaboration de bonne foi) m'inspirait et à la lecture c'est un livre particulièrement intéressant ...
L'auteur, Joseph M. Reagle Jr., est chercheur au Centre Berkman pour l’Internet et la Société de l’université de Harvard et aussi contributeur de la Wikipedia anglophone, ce qui ne gâte rien. Cette double fonction, chercheur universitaire et wikipédien, est bien présente dans ce livre, l'auteur exprime en 256 pages sa vision de la Wikipédia anglophone et de sa communauté.
Ce livre est tiré de sa thèse de doctorat à l’université de New York intitulée In good faith: Wikipedia collaboration and the pursuit of the universal encyclopedia. Il étudie en six chapitres plus une introduction et une conclusion les différents aspects de l'encyclopédie :
Le deuxième chapitre retrace les antécédents historiques que l'on pourraient citer comme précurseur de Wikipédia. Reagle fait le rapprochement, entre autres, avec l'Encyclopédie Universelle et l'esprit des Lumières. La partie que j'ai la plus appréciée concerne la vision utopique de Herbert G. Wells exprimée dans World Brain (Savoir mondial) sous le titre de The Idea of a Permanent World Encyclopaedia (Une idée d'encyclopédie mondiale permanente) qui dès 1937 expose la vision d'une encyclopédie qui pourrait être Wikipédia. Les sections sur les visionnaires ne sont pas moins intéressantes, qu'il s'agisse de Vannevar Bush et de son Memex, an enlarged intimate supplement to memory (un agrandissement intime en supplément à la mémoire) ou de Paul Otlet et son Mundaneum (Palais mondial du savoir). Cela démontre bien, s'il en était encore besoin, du coté utopique et/ou visionnaire de Wikipédia.
Le troisième chapitre reprend le titre du livre et se veut le cœur de l'étude : la collaboration de bonne foi.
Dans ce chapitre Reagle pose dans une première section les bases du fonctionnement de la « société » wikipédienne. Il commence par une mise en garde sur la culture de collaboration à laquelle il rattache la résolution des différents, la gestion des conflits et la prise de décision interdépendante en faisant remarquer, à la suite du juriste Cass Sunstein, que si le consensus fait partie de toute communauté, le dissensus n'est pas une mauvaise chose non plus pour son rôle structurant.
Dans une première section, j'ai apprécié la théorisation de moult concepts qui prennent ici une dimension plus en rapport avec l’œuvre encyclopédique que les conseils d'un CAr - comité d'arbitrage - qui oblige à la lecture de règles ou principes insipides, il serait plus productif de faire de l'explication de texte comme Reagle sait le faire. Il donne de la collaboration la définition de Michael Schrage « collaboration is the process of sharedcreation: two or more individuals with complementary skills interacting to create ashared understanding that none had previously possessed or could have come to ontheir own. Collaboration creates a shared meaning about a process, a product, or anevent. » (La collaboration est un processus de création partagée : deux ou plusieurs personnes, aux compétences complémentaires, interagissent pour créer une compréhension partagée qu'aucun ne possédait précédemment ou n'aurait pu atteindre par eux-mêmes. La collaboration crée un sens partagé à un processus, un produit, ou d'un événement). Il empreinte aussi à l'anthropologue Christopher Kelty, la notion de « "recursive public": a form of "social imaginary" through which geeks collectively conceive their "social existence" and are capable of changing the very means of discourse (i.e., communication protocols). » (un « public récursif » : une forme d'« imaginaire social » à travers lequel les geeks conçoivent collectivement leur « existence sociale » et sont capables de changer le moyen même du discours (c-à-d. protocoles de communication)). Il complète cette notion par celle de « community of practice » (communauté de pratique) d'Etienne Wenger et Jean Lave qui introduisent le principe de réification « the process of giving form to our experience by producing objects that congeal that experience into "thingness" » (le processus qui donne forme à notre expérience en produisant des objets qui figent cette expérience en « choséité »). Il montre encore comment la création de Ward Cunningham, le principe wiki, permet matériellement de supporter ces notions collaboratives.
En une deuxième section, Reagle étudie deux principes qu'il considère comme les plus constitutifs de l'encyclopédie parmi les lignes directrices du projet, la neutralité de point de vue - NPoV - et supposer la bonne foi - AGF - (Assume Good Faith). Il présente les principes dits fondateurs de façon différente que sur la Wikipédia francophone (et aussi anglophone) :
La troisième section suivante traite du NPoV - neutralité de point de vue - et il est intéressant de noté l'opposition entre Jimmy Wales pour qui la notion de neutralité était à l'origine un « concept social de collaboration » alors que pour Larry Sanger la notion prééminente était celle développée dans sa thèse Epistemic Circularity: an Essay on the Justification of Standards of Justification d'absence de biais. Ces notions devaient permettre que deux/des contributeurs aux idées inconciliables puissent quand même collaborer au projet encyclopédique pour éviter ou contourner les débats philosophiques « Ceux qui pensent que NPoV signifie une couverture égale de tous les points de vue vérifiables sont des trolls ». Reagle après avoir noter que les encyclopédies comme les textes de références ne sont jamais neutres précise que dans le contexte de Wikipedia, la notion de neutralité n'est pas comprise tant comme un résultat final, mais plutôt comme une attitude dépassionnée d'ouverture d'esprit au sujet des revendications des connaissances, et comme un « moyen de faire face à des opinions divergentes ».
Dans les sections suivantes, supposons la bonne foi est le sujet traité. Reagle note d'abord que cette notion est relativement récente parmi les règles de Wikipédia puisque la page est créée comme principe en mars 2004 avec un premier commentaire qu'en février 2005 avant d'être rétrogradée comme règle en 2006. S'il cite George Von Krogh qui, dans son article « Care in Knowledge Creation », identifie cinq dimensions pertinentes pour la création réussie de connaissances au sein d'une communauté : la confiance mutuelle, l'empathie active, accès à l'aide, l'indulgence dans le jugement et le courage, Reagle traite du sujet par l'intermédiaire de ce qu'il nomme vertu, au nombre de quatre, supposer le meilleur, agir avec patience, agir avec civilité et garder un sens de l'humour, toutes qualités, pour lui, indispensable au bon fonctionnement de l'encyclopédie. Même si supposer la bonne foi, est aussi une façon de faire preuve sciemment de mauvaise foi ; pour éviter de faire dégénérer une situation, il peut être utile de créditer de bonne foi des contradicteurs de mauvaise foi. Supposer la bonne foi est aussi un moyen de créer de la bonne foi. Par contre plus un contributeur se revendique de bonne foi, moins il risque de l'être.
Et Reagle de conclure ce chapitre « Dans le cas de la Wikipédia anglophone, il y a une culture de collaboration qui demande à ses participants d'assumer deux postures : une position de neutralité de point de vue sur les questions de connaissances et une position de bonne foi envers ses collègues contributeurs. »
Dans ce quatrième chapitre, Reagle traite de l'ouverture de Wikipédia qui est un exemple de communauté à contenu ouvert. Une telle conceptualisation entraîne la valeur fondamentale de fournir un contenu ouvert et l'implication de la réutilisation. Cependant, il peut être difficile d'équilibrer les valeurs associées de la transparence, de l'intégrité, de la non-discrimination et aussi d'autres préoccupations telles que la liberté d'expression et la sécurité des personnes et du projet lui-même. En outre, les frontières sont un élément fondamental de toute communauté, même pour ceux qui aspirent à l'ouverture parce qu'elle est rarement binaire simplement ouverte ou fermée.
« Wikipédia, l'encyclopédie libre que chacun peut éditer. » Reagle va s'attacher à expliquer, à justifier et à montrer qu'il n'y a pas incompatibilité entre ces deux libertés qui ne sont pas du même ordre. Le liberté d'éditer est comme la règle créatrice qui permet d'ignorer les règles pour le biens de l'encyclopédie, cela ne veut pas dire que toute action est justifiable mais que chacun, et les nouveaux contributeurs en particulier, doivent se sentir libres de contribuer suivant leurs moyens mais sans exemption de responsabilité.
Dans la section suivante, Reagle dépeint Wikipedia à la lumière de cinq caractéristiques de ce qu'il appelle une communauté de contenu ouvert :
Enfin en une dernière section, Reagle ne se fait aucune illusion sur l'ouverture et la transparence puisqu'il affirme que toutes les grandes décisions sont prises en dehors de la communauté. Il analyse l'ouverture au travers de cas particuliers : chacun peut-il vraiment contribuer ? L'ouverture de Wikipédia sur le monde réel, le développement d'une bureaucratie ou un exemple typique de fermeture et d'exclusion avec le cas de WikiChix, contributrices féminines qui, par manque de prise en compte de leurs avis, se constituèrent d'abord en groupe fermé avec une mail list hébergée par la Fondation, avant de se faire exclurent sur pression de la Fondation et de créer leur propre wiki.
Le cinquième chapitre sur les défis du consensus est de loin la partie la moins bien traitée du livre, manque de théorisation des techniques de prise de décision, exposé de quelques exemples extérieurs à Wikipédia (IETF, W3C, Quakers ...) et le seul exemple wikipédien (les pages d'homonymie des articles sur la série Buffy) démontre l'inadéquation d'un système utopique de prises de décision par consensus. La dernière section aurait même une orientation très en faveur des votes. Même si le vote c'est mal, je serai assez d'accord (euphémisme) avec Reagle sur ce point.
Le sixième chapitre Le dictateur bienveillant
Le septième chapitre Anxiété encyclopédique
Peut-être le meilleur chapitre, Reagle termine de façon brillante son étude, l’« anxiété encyclopédique », lui permet de rendre compte des controverses et des critiques dirigées vers Wikipédia ; ces controverses ont quelque chose à nous dire de notre culture, de notre société.
Dans les deux premières sections, Reagle a ici le mérite de recentrer le problème, non sur Wikipédia, mais sur le rôle des ouvrages dits de référence. Il montre comment les dictionnaires et les encyclopédies sont devenus au fil du temps, entre le XVIIe et la première moitié du XXe siècle de parfaites références « normatives » principalement les encyclopédies vues sous l'angle d'outils de référence indispensable à la promotion éducative. C'est par opposition à ce caractère normatif, que dans la section suivante, sont énumérées les critiques traditionnelles envers Wikipédia.
La quatrième section « Collaborative Practice » est une bonne étude des pratiques collaboratives d'abord hors Wikipédia avec des références tirées de Out of Control: the New Biology of Machines, Social Systems and the Economic World et On Digital Maoism de Kevin Kelly, Smart Mobs de Howard Rheingold, The Wisdom of Crowds de James Surowiecki, Digital Maoism: the Hazards of the New Online Collectivism de Jaron Lanier, The Cult of the Amateur: How Today’s Internet Is Killing Our Culture d'Andrew Keen, Digital Barbarism: a Writer’s Manifesto de Mark Helprin. Les modèles collaboratifs retenus ont soit pour base le chaos ou les théories de la complexité souvent à l'image de société animale pour Kelly avec les magnifiques chorégraphies aériennes d'un vol nuageux d'étourneaux ou encore de l'esprit de ruche, soit la sagesse des foules pour Surowiecki ou des sociétés virtuelles techniques de Rheingold.
C'est aussi l'étude des pratiques collaboratives de Wikipédia avec comme référence "Commons-Based Peer-Production and Virtue" in The Journal of Political Philosophy de Yochai Benkler et Helen Nissenbaum, "Online Communities" in The Internet Encyclopedia de Lee Sproull et Keynote: Wikis Then and Now de Ward Cunningham. Si Benkler et Sproull ont mis en évidence, les premiers, l'importance des micro-contributions, un des premiers principes de fonctionnement de Wikipédia est tiré de Surowiecki : des foules d'individus relativement ignorants peuvent prendre de meilleurs décisions que de petits groupes d'experts mais cela n’eut pas eu l'air de convenir à Jimmy Wales qui s'est rapidement élevé contre cette vision, pour lui wikipédia est une organisation traditionnelle, une communauté de personnes sensées qui se connaissent et non une colonie de fourmis. Il n'est pas convaincu que "l'intelligence en essaim" soit pertinent pour comprendre Wikipédia. Ce pourrait-être même un obstacle qui empêche de réfléchir à la manière dont la communauté interagit dans un processus de discours raisonné.
La cinquième section reprend la vision universaliste, Wikipédia répondrait-elle à cette vision ? Une encyclopédie qui favoriserait le regroupement de contributeurs faisant un travail de référencement qui serait rejoint par les savants du monde, chaque élève pourrait avoir ces vastes ressources à portée de main, dans un format personnel, portable et peu coûteux. Il serait à espérer que cette collection de l'intellect donnerait le plus grand sentiment d'un accord commun à travers le monde. Pour les détracteurs de Wikipedia, c'est un rêve farfelu qui devient rapidement un cauchemar bien réel. Tout comme l'Encyclopédie a contesté l'autorité de l’Église et de l’État en reconnaissant le mérite de l'artisan, Wikipédia favoriserait la médiocratie sur l'expertise ou du point de vue de Andrew Keen, Wikipédia élève le culte de l'amateur au détriment du professionnel.
La sixième section survole de vraiment trop haut,sans grand intérêt, les contributeurs aux encyclopédies traditionnelles et à Wikipédia. La septième et dernière section sur l'inspiration technologique n'est en fait pas très inspirée, juste une opposition de points de vue. S'il n'est pas difficile de voir Wikipedia comme un « livre recomposé » de la connaissance reconstitué, lors du lancement de Wikipedia, Ward Cunningham, Larry Sanger, et Jimmy Wales ont tous exprimé un certain scepticisme quant à son succès : « comme c'est parfaitement possible, supposons [dixit Sanger], que Wikipedia continue de produire des articles à un rythme de 1 000 par mois, en sept ans, nous auront 84 000 articles. ». Si Wikipédia est un « work in progress » sept ans plus tard, il y avait quand même vingt fois plus d'articles. Helprin compare Wikipedia à une grande encyclopédie soviétique dans laquelle le Kremlin réécrirait l'histoire et mettrait des photos truquées tandis que le quotidien britannique The Guardian caractérise Wikipédia comme « une des merveilles de l'Internet. » Doctorow écrit : « Wikipédia n'est pas génial parce que c'est comme la Britannica. La Britannica est grande d'être autoritaire, éditée, coûteuse, et monolithique. Wikipedia est aussi grande d'être libre, bagarreuse, universelle et instantanée. » Ce qui sera démontré par l'étude de Nature.
Le huitième chapitre est une courte conclusion sans intérêt, je préfère retenir deux phrase qui terminent le chapitre précédent, l'une de Kelly, le promoteur de « l'esprit de ruche », précisant que Wikipedia est surprenante, elle va « beaucoup plus loin que ce qui semble possible ... parce que c'est quelque chose qui est impossible en théorie, et la seule possible dans la pratique. » La deuxième est une remarque humoristique de Douglas Adams : tout ce qui existait au moment où vous êtes né est considéré comme normal, tout ce qui vous permet de réussir votre carrière avant votre trentième anniversaire est incroyablement excitant et créatif. Bien sûr, tout ce qui vient après est contre l'ordre naturel des choses et marque le début de la fin de la civilisation telle que nous la connaissions jusqu'alors. Ceci explique cela, il n'y a que les jeunes de moins de trente ans qui peuvent trouver Wikipédia excitante et créative.
Ce livre est tiré de sa thèse de doctorat à l’université de New York intitulée In good faith: Wikipedia collaboration and the pursuit of the universal encyclopedia. Il étudie en six chapitres plus une introduction et une conclusion les différents aspects de l'encyclopédie :
- Introduction : Nazis and Norms
- The Pursuit of the Universal Encyclopedia
- Good Faith Collaboration
- The Puzzle of Openness
- The Challenges of Consensus
- The Benevolent Dictator
- Encyclopedic Anxiety
- Conclusion : A Globe in Accord
Le deuxième chapitre retrace les antécédents historiques que l'on pourraient citer comme précurseur de Wikipédia. Reagle fait le rapprochement, entre autres, avec l'Encyclopédie Universelle et l'esprit des Lumières. La partie que j'ai la plus appréciée concerne la vision utopique de Herbert G. Wells exprimée dans World Brain (Savoir mondial) sous le titre de The Idea of a Permanent World Encyclopaedia (Une idée d'encyclopédie mondiale permanente) qui dès 1937 expose la vision d'une encyclopédie qui pourrait être Wikipédia. Les sections sur les visionnaires ne sont pas moins intéressantes, qu'il s'agisse de Vannevar Bush et de son Memex, an enlarged intimate supplement to memory (un agrandissement intime en supplément à la mémoire) ou de Paul Otlet et son Mundaneum (Palais mondial du savoir). Cela démontre bien, s'il en était encore besoin, du coté utopique et/ou visionnaire de Wikipédia.
Le troisième chapitre reprend le titre du livre et se veut le cœur de l'étude : la collaboration de bonne foi.
Dans ce chapitre Reagle pose dans une première section les bases du fonctionnement de la « société » wikipédienne. Il commence par une mise en garde sur la culture de collaboration à laquelle il rattache la résolution des différents, la gestion des conflits et la prise de décision interdépendante en faisant remarquer, à la suite du juriste Cass Sunstein, que si le consensus fait partie de toute communauté, le dissensus n'est pas une mauvaise chose non plus pour son rôle structurant.
Dans une première section, j'ai apprécié la théorisation de moult concepts qui prennent ici une dimension plus en rapport avec l’œuvre encyclopédique que les conseils d'un CAr - comité d'arbitrage - qui oblige à la lecture de règles ou principes insipides, il serait plus productif de faire de l'explication de texte comme Reagle sait le faire. Il donne de la collaboration la définition de Michael Schrage « collaboration is the process of sharedcreation: two or more individuals with complementary skills interacting to create ashared understanding that none had previously possessed or could have come to ontheir own. Collaboration creates a shared meaning about a process, a product, or anevent. » (La collaboration est un processus de création partagée : deux ou plusieurs personnes, aux compétences complémentaires, interagissent pour créer une compréhension partagée qu'aucun ne possédait précédemment ou n'aurait pu atteindre par eux-mêmes. La collaboration crée un sens partagé à un processus, un produit, ou d'un événement). Il empreinte aussi à l'anthropologue Christopher Kelty, la notion de « "recursive public": a form of "social imaginary" through which geeks collectively conceive their "social existence" and are capable of changing the very means of discourse (i.e., communication protocols). » (un « public récursif » : une forme d'« imaginaire social » à travers lequel les geeks conçoivent collectivement leur « existence sociale » et sont capables de changer le moyen même du discours (c-à-d. protocoles de communication)). Il complète cette notion par celle de « community of practice » (communauté de pratique) d'Etienne Wenger et Jean Lave qui introduisent le principe de réification « the process of giving form to our experience by producing objects that congeal that experience into "thingness" » (le processus qui donne forme à notre expérience en produisant des objets qui figent cette expérience en « choséité »). Il montre encore comment la création de Ward Cunningham, le principe wiki, permet matériellement de supporter ces notions collaboratives.
En une deuxième section, Reagle étudie deux principes qu'il considère comme les plus constitutifs de l'encyclopédie parmi les lignes directrices du projet, la neutralité de point de vue - NPoV - et supposer la bonne foi - AGF - (Assume Good Faith). Il présente les principes dits fondateurs de façon différente que sur la Wikipédia francophone (et aussi anglophone) :
- Wikipédia est une encyclopédie (1er principe Wikipédia francophone)
- Wikipédia travaille par consensus
- les contributeurs se respectent (4e principe Wikipédia francophone)
- les contributeurs respectent les droits d'auteur (3e principe Wikipédia francophone)
- les contributeurs évitent les biais en se basant sur des sources fiables (règle de vérifiabilité Wikipédia francophone)
- comme contributeur à une encyclopédie, utiliser un point de vue neutre (2e principe Wikipédia francophone)
- comme membre d'une communauté, « don’t be a dick » (ne pas être une bite)
- comme utilisateur d'un wiki, ignorer toutes les règles (5e principe Wikipédia francophone)
La troisième section suivante traite du NPoV - neutralité de point de vue - et il est intéressant de noté l'opposition entre Jimmy Wales pour qui la notion de neutralité était à l'origine un « concept social de collaboration » alors que pour Larry Sanger la notion prééminente était celle développée dans sa thèse Epistemic Circularity: an Essay on the Justification of Standards of Justification d'absence de biais. Ces notions devaient permettre que deux/des contributeurs aux idées inconciliables puissent quand même collaborer au projet encyclopédique pour éviter ou contourner les débats philosophiques « Ceux qui pensent que NPoV signifie une couverture égale de tous les points de vue vérifiables sont des trolls ». Reagle après avoir noter que les encyclopédies comme les textes de références ne sont jamais neutres précise que dans le contexte de Wikipedia, la notion de neutralité n'est pas comprise tant comme un résultat final, mais plutôt comme une attitude dépassionnée d'ouverture d'esprit au sujet des revendications des connaissances, et comme un « moyen de faire face à des opinions divergentes ».
Dans les sections suivantes, supposons la bonne foi est le sujet traité. Reagle note d'abord que cette notion est relativement récente parmi les règles de Wikipédia puisque la page est créée comme principe en mars 2004 avec un premier commentaire qu'en février 2005 avant d'être rétrogradée comme règle en 2006. S'il cite George Von Krogh qui, dans son article « Care in Knowledge Creation », identifie cinq dimensions pertinentes pour la création réussie de connaissances au sein d'une communauté : la confiance mutuelle, l'empathie active, accès à l'aide, l'indulgence dans le jugement et le courage, Reagle traite du sujet par l'intermédiaire de ce qu'il nomme vertu, au nombre de quatre, supposer le meilleur, agir avec patience, agir avec civilité et garder un sens de l'humour, toutes qualités, pour lui, indispensable au bon fonctionnement de l'encyclopédie. Même si supposer la bonne foi, est aussi une façon de faire preuve sciemment de mauvaise foi ; pour éviter de faire dégénérer une situation, il peut être utile de créditer de bonne foi des contradicteurs de mauvaise foi. Supposer la bonne foi est aussi un moyen de créer de la bonne foi. Par contre plus un contributeur se revendique de bonne foi, moins il risque de l'être.
Et Reagle de conclure ce chapitre « Dans le cas de la Wikipédia anglophone, il y a une culture de collaboration qui demande à ses participants d'assumer deux postures : une position de neutralité de point de vue sur les questions de connaissances et une position de bonne foi envers ses collègues contributeurs. »
Dans ce quatrième chapitre, Reagle traite de l'ouverture de Wikipédia qui est un exemple de communauté à contenu ouvert. Une telle conceptualisation entraîne la valeur fondamentale de fournir un contenu ouvert et l'implication de la réutilisation. Cependant, il peut être difficile d'équilibrer les valeurs associées de la transparence, de l'intégrité, de la non-discrimination et aussi d'autres préoccupations telles que la liberté d'expression et la sécurité des personnes et du projet lui-même. En outre, les frontières sont un élément fondamental de toute communauté, même pour ceux qui aspirent à l'ouverture parce qu'elle est rarement binaire simplement ouverte ou fermée.
« Wikipédia, l'encyclopédie libre que chacun peut éditer. » Reagle va s'attacher à expliquer, à justifier et à montrer qu'il n'y a pas incompatibilité entre ces deux libertés qui ne sont pas du même ordre. Le liberté d'éditer est comme la règle créatrice qui permet d'ignorer les règles pour le biens de l'encyclopédie, cela ne veut pas dire que toute action est justifiable mais que chacun, et les nouveaux contributeurs en particulier, doivent se sentir libres de contribuer suivant leurs moyens mais sans exemption de responsabilité.
Dans la section suivante, Reagle dépeint Wikipedia à la lumière de cinq caractéristiques de ce qu'il appelle une communauté de contenu ouvert :
- contenu ouvert satisfaisant à la définition Open Source
- transparence des processus, des règles, des décisions
- intégrité des processus et des contributions
- non-discrimination à l'encontre des personnes, des propositions qui doivent être jugés sur leurs mérites
- non-ingérence qui serait la clé de voûte de cette ouverture permettant la mise en œuvre des quatre précédentes caractéristiques.
Enfin en une dernière section, Reagle ne se fait aucune illusion sur l'ouverture et la transparence puisqu'il affirme que toutes les grandes décisions sont prises en dehors de la communauté. Il analyse l'ouverture au travers de cas particuliers : chacun peut-il vraiment contribuer ? L'ouverture de Wikipédia sur le monde réel, le développement d'une bureaucratie ou un exemple typique de fermeture et d'exclusion avec le cas de WikiChix, contributrices féminines qui, par manque de prise en compte de leurs avis, se constituèrent d'abord en groupe fermé avec une mail list hébergée par la Fondation, avant de se faire exclurent sur pression de la Fondation et de créer leur propre wiki.
Le cinquième chapitre sur les défis du consensus est de loin la partie la moins bien traitée du livre, manque de théorisation des techniques de prise de décision, exposé de quelques exemples extérieurs à Wikipédia (IETF, W3C, Quakers ...) et le seul exemple wikipédien (les pages d'homonymie des articles sur la série Buffy) démontre l'inadéquation d'un système utopique de prises de décision par consensus. La dernière section aurait même une orientation très en faveur des votes. Même si le vote c'est mal, je serai assez d'accord (euphémisme) avec Reagle sur ce point.
Le sixième chapitre Le dictateur bienveillant
Wikipedia n'est pas une anarchie, même si elle a des caractéristiques anarchistes.Il serait possible de titrer ce chapitre à la recherche d'un leadership. En fait, je pense ce chapitre de peu d’intérêt et peu compatible avec la Wikipédia francophone pour laquelle, à ma connaissance, Jimmy Wales n'est jamais intervenu comme « dictateur bienveillant ». Une description traditionnelle des statuts complète et termine le chapitre.
Wikipedia n'est pas une démocratie, même si elle a des caractéristiques démocratiques.
Wikipedia n'est pas une aristocratie, même si elle a des caractéristiques aristocratiques.
Wikipedia n'est pas une monarchie, même si elle a des caractéristiques monarchiques.
Jimmy Wales 16 mars 2007
Le septième chapitre Anxiété encyclopédique
Peut-être le meilleur chapitre, Reagle termine de façon brillante son étude, l’« anxiété encyclopédique », lui permet de rendre compte des controverses et des critiques dirigées vers Wikipédia ; ces controverses ont quelque chose à nous dire de notre culture, de notre société.
Dans les deux premières sections, Reagle a ici le mérite de recentrer le problème, non sur Wikipédia, mais sur le rôle des ouvrages dits de référence. Il montre comment les dictionnaires et les encyclopédies sont devenus au fil du temps, entre le XVIIe et la première moitié du XXe siècle de parfaites références « normatives » principalement les encyclopédies vues sous l'angle d'outils de référence indispensable à la promotion éducative. C'est par opposition à ce caractère normatif, que dans la section suivante, sont énumérées les critiques traditionnelles envers Wikipédia.
La quatrième section « Collaborative Practice » est une bonne étude des pratiques collaboratives d'abord hors Wikipédia avec des références tirées de Out of Control: the New Biology of Machines, Social Systems and the Economic World et On Digital Maoism de Kevin Kelly, Smart Mobs de Howard Rheingold, The Wisdom of Crowds de James Surowiecki, Digital Maoism: the Hazards of the New Online Collectivism de Jaron Lanier, The Cult of the Amateur: How Today’s Internet Is Killing Our Culture d'Andrew Keen, Digital Barbarism: a Writer’s Manifesto de Mark Helprin. Les modèles collaboratifs retenus ont soit pour base le chaos ou les théories de la complexité souvent à l'image de société animale pour Kelly avec les magnifiques chorégraphies aériennes d'un vol nuageux d'étourneaux ou encore de l'esprit de ruche, soit la sagesse des foules pour Surowiecki ou des sociétés virtuelles techniques de Rheingold.
C'est aussi l'étude des pratiques collaboratives de Wikipédia avec comme référence "Commons-Based Peer-Production and Virtue" in The Journal of Political Philosophy de Yochai Benkler et Helen Nissenbaum, "Online Communities" in The Internet Encyclopedia de Lee Sproull et Keynote: Wikis Then and Now de Ward Cunningham. Si Benkler et Sproull ont mis en évidence, les premiers, l'importance des micro-contributions, un des premiers principes de fonctionnement de Wikipédia est tiré de Surowiecki : des foules d'individus relativement ignorants peuvent prendre de meilleurs décisions que de petits groupes d'experts mais cela n’eut pas eu l'air de convenir à Jimmy Wales qui s'est rapidement élevé contre cette vision, pour lui wikipédia est une organisation traditionnelle, une communauté de personnes sensées qui se connaissent et non une colonie de fourmis. Il n'est pas convaincu que "l'intelligence en essaim" soit pertinent pour comprendre Wikipédia. Ce pourrait-être même un obstacle qui empêche de réfléchir à la manière dont la communauté interagit dans un processus de discours raisonné.
La cinquième section reprend la vision universaliste, Wikipédia répondrait-elle à cette vision ? Une encyclopédie qui favoriserait le regroupement de contributeurs faisant un travail de référencement qui serait rejoint par les savants du monde, chaque élève pourrait avoir ces vastes ressources à portée de main, dans un format personnel, portable et peu coûteux. Il serait à espérer que cette collection de l'intellect donnerait le plus grand sentiment d'un accord commun à travers le monde. Pour les détracteurs de Wikipedia, c'est un rêve farfelu qui devient rapidement un cauchemar bien réel. Tout comme l'Encyclopédie a contesté l'autorité de l’Église et de l’État en reconnaissant le mérite de l'artisan, Wikipédia favoriserait la médiocratie sur l'expertise ou du point de vue de Andrew Keen, Wikipédia élève le culte de l'amateur au détriment du professionnel.
La sixième section survole de vraiment trop haut,sans grand intérêt, les contributeurs aux encyclopédies traditionnelles et à Wikipédia. La septième et dernière section sur l'inspiration technologique n'est en fait pas très inspirée, juste une opposition de points de vue. S'il n'est pas difficile de voir Wikipedia comme un « livre recomposé » de la connaissance reconstitué, lors du lancement de Wikipedia, Ward Cunningham, Larry Sanger, et Jimmy Wales ont tous exprimé un certain scepticisme quant à son succès : « comme c'est parfaitement possible, supposons [dixit Sanger], que Wikipedia continue de produire des articles à un rythme de 1 000 par mois, en sept ans, nous auront 84 000 articles. ». Si Wikipédia est un « work in progress » sept ans plus tard, il y avait quand même vingt fois plus d'articles. Helprin compare Wikipedia à une grande encyclopédie soviétique dans laquelle le Kremlin réécrirait l'histoire et mettrait des photos truquées tandis que le quotidien britannique The Guardian caractérise Wikipédia comme « une des merveilles de l'Internet. » Doctorow écrit : « Wikipédia n'est pas génial parce que c'est comme la Britannica. La Britannica est grande d'être autoritaire, éditée, coûteuse, et monolithique. Wikipedia est aussi grande d'être libre, bagarreuse, universelle et instantanée. » Ce qui sera démontré par l'étude de Nature.
Le huitième chapitre est une courte conclusion sans intérêt, je préfère retenir deux phrase qui terminent le chapitre précédent, l'une de Kelly, le promoteur de « l'esprit de ruche », précisant que Wikipedia est surprenante, elle va « beaucoup plus loin que ce qui semble possible ... parce que c'est quelque chose qui est impossible en théorie, et la seule possible dans la pratique. » La deuxième est une remarque humoristique de Douglas Adams : tout ce qui existait au moment où vous êtes né est considéré comme normal, tout ce qui vous permet de réussir votre carrière avant votre trentième anniversaire est incroyablement excitant et créatif. Bien sûr, tout ce qui vient après est contre l'ordre naturel des choses et marque le début de la fin de la civilisation telle que nous la connaissions jusqu'alors. Ceci explique cela, il n'y a que les jeunes de moins de trente ans qui peuvent trouver Wikipédia excitante et créative.
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